Mes illusions perdues (pour un temps !)
Ben voilà, à peine deux semaines après la rentrée, j'ai déjà enterré mes illusions, revêtu le voile noir du deuil de certains rêves de réussite et perdu pour quelque temps le mordant des tout premiers jours.
Parce que chaque jour je fais face à des élèves du "neuf cube" persuadés que nous ne sommes pas du même monde et que donc, moi l'embourgeoisée pleine aux as, je ne comprends rien à leurs barres de misère en béton armé.
Moi la fille élevée entre barre HLM de Sarcelles et station service d'Aubervilliers.
Parce que chaque jour je dois me livrer à des hordes silencieuses qui refusent tout jusqu'au plus simple des dialogues parce que forcément, ils imaginent que je suis née avec une cuillère en argent dans la bouche.
Moi la fille du pompiste et de la caissière de nuit. Moi et mes ancêtres immigrants italiens, à peine lettrés, intégrés de justesse à l'usine et entassés dans des caves avant de connaître ce que, pendant un temps, l'on a voulu voir comme "le luxe" des barres HLM.
Parce qu'ils sont convaincus que, puisque nous n'avons rien à échanger, et que l'institution que je représente n'a rien à leur apporter, je ne suis pas digne de politesse, il faut que chaque jour je leur démontre que le sourire n'a jamais fait de morts et que la simple politesse du quotidien ne gâche absolument rien de leur "virilité" ni de leur "produit de banlieue" attitude.
Et parce qu'aussi, pour certains, travaillés par les hormones et entravés par la pensée, il faut l'avouer, une femme n'a rien à faire à ma place et qu'ils me le font sentir, je me bats.
Moi qui nourris de belles ambitions pour eux. Moi qui suis le pur fruit de ce que la banlieue et l'école peuvent engendrer. Moi qui, à un moment, avais été classée dans les "no can do - BEP - réorientation" pour finalement me hisser dans les rangs des 5 premiers aux concours Education Nationale. Moi qui aimerais tant faire sauter tous ces carcans, toutes ces carapaces qui les réduisent à ce que les médias veulent en faire. Je suis à la fois triste et fière de leur apprendre à sourire, à dire bonjour, à s'excuser, à oser descendre de leur destrier de béton pour voir qu'ailleurs l'herbe est plus verte, qu'avoir plus de trois mots dans son vocabulaire n'est pas une bouffonnerie, qu'il y a une vie après la fin des émissions de M6 et qu'on n'est pas automatiquement condamné par les barres HLM et les fins de mois difficiles.