Un Thalys pour Amsterdam

(post de 2005)

Kip a eu la bonne idée de m’inviter pour un week-end à Amsterdam pour fêter mon anniversaire. Quatre heures de Thalys nous séparent de cette ville sexy et enfumée. Quatre heures durant lesquelles j’ai pu saisir quelques instants de vie.

A côté de nous, seul, un vieil artiste russe. Lunettes démodées, petit béret, crâne dégarni, petite queue de rat pendant sur la nuque, vague souvenir d’une époque reculée où il était encore chevelu. Sur la tablette, face à lui, une bouteille de blanc pétillant. Il est 8h30, il s’enfile ça au goulot. En gare de Bruxelles, une jeune femme monte dans le train. Sa place est juste derrière le vieux russe. Il décide donc tout naturellement de s’asseoir à côté d’elle, comme pour mêler leurs solitudes. Tant pis si elle, la solitude, ça lui aurait bien plu jusqu’à Amsterdam. Petite pause avant la folie d’un week-end festif. Et le voilà donc qui fait son grand show. Il lui déballe tous ses cartons à dessin, il lui explique toute sa symbolique, tout ça en continuant de se siffler sa bouteille de pinard entre deux envolées lyriques. La pauvre. J’imagine sans peine l’haleine du bonhomme. Il est 9h00 du matin.

Arrivés à Anvers, elle lui demande, délicatement « Vous descendez où ? », et lui de rétorquer, « On peut encore parler pendant une bonne heure, moi descendre Rotterdam. » Ah bah voilà, je suis certaine qu’elle est ravie la jeune dame. Une heure encore. Et le voilà qui sort de sa sacoche miraculeuse un sachet de médicament qu’il déverse sans scrupule dans sa bouteille de vin : « Spéciale alchimie » qu’il lui explique. C’est qu’il est déjà bien allumé notre vieux russe alors on se demande dans quel état son alchimie va le mettre. Et quand le silence se fait entre elle et lui, le voilà qui lui dit : « Moi penser que vous n’avez rien compris à mon art. Vous posez questions sur lumière, mais ça est pas le problème. Moi tout réexpliquer. Moi représenter corps. Moi savoir ce que photographie va devenir dans 25 ans, moi précurseur. Moi donner vous invitation pour exposition à Moscou pour comprendre meilleur. Vous donnez moi nom et numéro téléphone. Florence, ahhh, très joli prénom… » Et ça a duré jusqu’à Rotterdam.

Au retour, deux hommes s’étreignent sur le quai. Ils sont mignons ces deux là , seuls au monde, ils se séparent. On les sent fébriles, prêts à verser quelques larmes, mais ils se contiennent et leurs étreintes sont pudiques. On sent qu’ils auraient besoin de beaucoup plus...

L’un d’eux vient s’asseoir juste devant nous. Les vitres du train ne laissent pas transparaître son image à son amant resté sur le quai. On le voit qui se tient la tête, qui le cherche du regard, sans le voir. Alors l’autre tape à la vitre et lui fait signe de venir à la porte. Ils se retrouvent pour quelques embrassades, quelques mots, quelques regards, puis le train s’en va. Notre amant perdu sort son téléphone et le met en évidence sur la tablette. Une sonnerie, un message, il attend. Puis, il sort de sa sacoche une enveloppe pleine de copies de bac. Il est professeur de biologie, il a 142 copies pour lui faire oublier son amant et son week-end amoureux. 142 copies pour le faire revenir à la réalité de sa solitude parisienne.

Dans ce train du retour il y a aussi cette jeune femme derrière nous. Elle profite de ses quatre heures de voyage pour appeler tous ses proches. « Marie, bonjour c’est Bénédicte. Blablabla, blablabla. Ben en fait je t’appelais pour te dire : je suis enceinte ! »

C’est vraiment chouette la vie dans le Thalys.