La lente agonie des cochons d'Inde sous extasy

(retour sur une note de 2006)

Aujourd’hui, cours avec mes chérubins de seconde.

Au programme du jour, une bande audio qui propose des publicités radio. Aux élèves de décrypter la nature de la pub, d’étudier l’environnement sonore pour avoir une idée de ce dont il s’agit… bref, à eux d’essayer d’en comprendre un maximum.

Première pub : une petite musique zen, type indien… vaguement planant. « Not my type of music ! » me dit une élève pour bien montrer aux autres que cette daube là, c’est pas son délire. Faut que les choses soient claires. Elle c’est plutôt Christina Aguillera ou Beyoncé (comme mon père !) Ok ! J’ai bien saisi le message kiddo, ma musique est ringarde, comme toutes les musiques de tous les profs de la terre, ça va de soi. On ne doit pas pouvoir aimer la même musique que son prof, c’est trop nul. Bref, chemin faisant, on finit par trouver de quoi il s’agit. Contrat rempli !

Deuxième pub : une engueulade entre une mère et sa fille adolescente. Ca leur parle, ils adorent. Ca leur permet de me dire qu’ils connaissent ça par cœur. Cette pub est vite expédiée, ils comprennent bien et c’est l’essentiel.

Troisième pub : on entend des cochons d’Inde qui… meuglent ? pépient ? glougloutent ? barrissent ? aboient ? (au fait, ça fait quoi comme bruit un cochon d’Inde ?). Bref, des bruits de cochons d’Inde dans un laboratoire. Puis ces bruits s’estompent doucement pour laisser la place à des voix d’adolescents dans une boîte de nuit. On entend le « boumboumboumboum » de la musique techno (là tous les élèves tapent vaguement du pied pour montrer que cette musique là bébé, ils la kiffent à donf’). Et on entend le mot « extasy » prononcé plusieurs fois puis arrive un numéro de téléphone « to know more about the effects of extasy »

La pub fait en fait un parallèle entre les cochons d’Inde et les gamins en boîte pour montrer que ces gamins sont comme des cochons d’Inde en laboratoire. On expérimente sur eux une drogue dont on ne connaît pas les effets à long terme. Il s’agit donc d’appeler la ligne verte pour se renseigner et éviter des catastrophes post-extasy.

Et là, un délire d’interprétation a lieu.

« Les cochons d’Inde prennent de l’extasy »

« C’est une pub pour l’extasy »

« Quand on prend de l’extasy on devient un cochon d’Inde »

« A force de prendre de l’extasy, les cochons d’Inde ont fini par danser sur de la musique techno dans un laboratoire »

« On entend des cochons d’Inde à l’agonie »

Là, moi, jolie prof élancée, belle comme le jour, toujours disponible, je suis pliée en deux les pattes en l’air sur une table et je me bidonne ! Du plus profond de moi sortent des ricanements incontrôlables. Mes élèves sont des comiques qui s’ignorent. J’adore ! On nage en plein surréalisme et ils adorent me voir dans cet état alors ils en rajoutent :

« C’est terrible l’agonie des cochons d’Inde, A bas l’extasy ! »

« Luttons pour la sauvegarde des cochons d’Inde sous extasy ! »

Tous en chœur : «  Ouais ! »

Bon, Ok on a totalement lâché prise sur ce document. Ok si l’inspectrice était là ce serait camisole d’urgence. Ok si les parents étaient là ils s’inquièteraient de savoir leurs gamins entre mes mains mais quand même :

Bilan pédagogique : expression riche, spontanée, argumentée et en adéquation avec le sujet (quoi que… ?) dans une langue « cible » (c’est comme ça qu’on dit en langage érudit) maîtrisée. Message compréhensible et authentique. Echange désinstitutionnalisé avec l’interlocuteur (moi en l’occurrence). Apprenants en situation authentique de communication et prenant du plaisir à échanger avec leur facilitateur d’apprentissage (encore moi !). Et tout ça saupoudré d’une bonne dose d’humour. Moi des cours comme ça, même si ça n’est pas très conventionnel, j’en veux tous les jours !

Prochaine leçon : la vie des castors en string !